Je suis féministe et étudiante en psychologie. Dans ma grande naïveté, j’étais persuadée, au début de mes études, que le domaine de la psychologie devait être rempli de personnes ouvertes, tolérantes, déconstruites des stéréotypes en tout genre et j’en passe. A vrai dire, cet optimisme (pour ne pas dire candeur) ne date pas d’hier.
J’ai eu l’immensément rare chance de grandir
dans un cocon où on m’a laissé la liberté de devenir tout ce que je voulais et
où je n’ai été que très peu confrontée à l’intolérance de manière générale.
Dans ce joli monde de Bisounours, il était évident pour moi que le racisme et
toute forme de discrimination étaient socialement et moralement condamnables,
et que cette opinion était partagée par tout le monde. Le féminisme, pour quoi
faire exactement ? Tout le monde est pour l’égalité n’est-ce
pas ? Et puis il n’y a plus rien à faire, l’égalité des sexes c’est
acquis, non ?
Durant ces 3 années de bonheur que constituent
le lycée, j’ai eu une série de prises de conscience qui m’ont fait bien
déchanter :
1.
Non, au 21ème siècle,
une femme ne peut pas disposer de son corps et de sa sexualité sans se faire
insulter de tout et de son contraire, sur une échelle allant de
« prude » à « grosse salope » en passant par « nymphomane »,
parfois tout ça simultanément (aller comprendre).
2.
D’ailleurs, si tu parles de ta
sexualité à des amiEs proches, tu acceptes tacitement d’être par la suite
victime de slutshaming (à quoi tu t’attendais franchement)
3.
Si tu refuses qu’on parle de ta
petite sœur de 15 ans comme d’un morceau de viande, c’est que tu es jalouse
d’elle (les femmes sont toutes en compétitions, à retenir) ;
4.
Si tu ne rigoles pas quand un
« pote » passe son temps à te toucher de façon absolument déplacée de
façon répétée, c’est que tu n’as pas d’humour ;
5.
Si tu dénonces qu’un intervenant
professionnel dans ton lycée est très « tactile » (reprenons les mots
de l’administration) avec les élèvEs, tu es une menteuse avec un gros besoin
d’attention, une fouteuse de merde. Et puis « on ne porte pas plainte pour
une main sur l’épaule ». Et puis on t’intimide avec une menace de procès
pour diffamation.
6.
Lorsque tu passes un test
d’orientation à 170 euros, ton genre est pris en compte (pour savoir si tu
seras plutôt infirmièrE ou médecin)
7.
A partir de 14 ans (et encore je suis gentille) toutes les
femmes se font harceler dans la rue
8.
Frigide Barjot, Christine Boutin,
« Mariage pour Tous », ne sont pas un cauchemar mais une réalité.
Aujourd’hui. En France.
Bon. Ma petite bulle utopique a explosé, sous
mes yeux ébahis, et j’ai commencé à me renseigner, à lire, lire, lire, à
déconstruire tout ce que j’avais inconsciemment intégré, à me poser des vrais
questions, à chercher comment changer les choses. Je suis devenue féministe.
Cette année là j’ai découvert avec surprise que mes amies vivant en couple n’avaient
pas une répartition équitable des tâches ménagères avec leur compagnon. J’ai
découvert que PLUSIEURS de mes professeur.e.s en PSYCHOLOGIE faisaient
ouvertement des remarques sexistes et plus gravement des cours sexistes sans
que ça ne fasse réagir personne. J’ai découvert que ma boss (intéressant, mon
ordinateur me signale une erreur, c’est « mon » boss qu’on dit, apparemment), travaillant depuis 10 ans dans la prévention
santé auprès des étudiants, était complètement blindée de stéréotypes de genre,
qu’elle transmettait, notamment lorsque l’on abordait des thèmes comme la
sexualité ou la consommation d’alcool. J’ai découvert qu’il y avait des
personnes sexistes, homophobes et racistes dans mon entourage plus ou moins
proche.
Dans un même temps, j’ai aussi découvert le
milieu féministe militant, ce qui a été à la fois réconfortant (tu n’es pas
seule au monde !!) et source d’une grosse remise en question car ce que
j’y ai découvert ne m’a pas toujours plu, parfois dans les idées, parfois dans
les méthodes. La misandrie existante dans certains cercles féministes me pose
problème. Bien que je la comprenne d’une certaine façon, je n’y adhère pas. Je
ne m’y reconnais pas, tout simplement parce qu’elle s’oppose à mes valeurs en
tant qu’étudiante en psychologie. D’aucune diront que je ne suis « pas
assez déconstruite », que je m’auto-censure, que j’essaye de ménager les
hommes et que ce n’est pas avec de la pédagogie qu’on fait une révolution. Je ne
dis pas qu’elles auraient tort, mais dans ce cas je refuse d’aller aussi loin
dans la déconstruction. J’ai fais le choix de faire de la psychologie, et j’y
ai appris la bienveillance, la patience, la compréhension, la compassion,
l’empathie. Des propos ou des actes sexistes, racistes, homophobes,
transphobes, discriminants de quelques manières que ce soit, me mettront
toujours hors de moi puisque complètement opposés à toutes mes valeurs et mes
convictions. Cependant je refuse de céder à la haine et à la colère. Je
comprends et respecte celles et ceux pour qui cette démarche est inconcevable,
mais ce n’est pas la voie que je souhaite emprunter dans mon engagement
féministe. Je veux comprendre la construction, l’expérience de vie qui amène à
cette intolérance et à cette violence. Et oui, cela nécessite d’être patiente et
respectueuse de personnes qui ne le seront probablement jamais envers moi ni
envers les gens que j’aime, mais si je n’étais pas capable de faire ça, mon
objectif d’être psychologue n’aurait aucun sens.
Ces 3 dernières années ont été pour moi la
découverte du féminisme et de la psychologie, simultanément. Le féminisme a
largement affecté ma pratique en psychologie, et la psychologie a au moins
aussi largement affecté ma pratique du féminisme. Je n’ai jusqu’ici pas trouvé
quoique ce soit regroupant ces deux domaines de manière aussi étroite. Il
existe des domaines de recherches en psychologie abordant des thèmes féministes
(le genre, les violences faites aux femmes…) mais à ma connaissance pas de réel
regroupement de praticiens abordant de façon active toutes les questions
abordées par le féminisme (mais peut être ai-je mal cherché, je ne perds pas
espoir). Par ailleurs, les connaissances dans tous les domaines de la
psychologie (sociale, cognitive, clinique, du développement et neuro) ne me
semblent pas être très utilisées dans le combat féministe, alors qu’elles pourraient
apporter un angle nouveau.
J’ai donc décidé de lancer ce site afin de
partager les questionnements, les coups de gueules et les oppositions qui se
dégagent de la confrontation de ces deux identités en moi : la féministe
et l’apprentie psychologue. Je ne prétends pas avoir de réponses, ni d’avoir
raison sur les sujets que j’aborderais. Mon point de vue n’est qu’un point de
vue et n’engage personne d’autre que moi. Je souhaite simplement le partager et
proposer une réflexion.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire