Suite à l’article sur le slut-shaming dans un
contexte thérapeutique publié précédemment, j’ai réussi à ordonner mes idées,
ma réflexion, et ma détermination à ne pas me rendre "complice" des dérives
sexistes de mes encadrantes en restant silencieuse, et j’ai réussi à aborder le sujet avec
l’intervenante de danse (en l’absence de ma tutrice de stage).
Afin de rester dans un dialogue courtois et
ouvert, j’ai voulu éviter toute agressivité et j’ai choisi mes mots avec
précaution pour ne pas lui donner le sentiment d’être en faute, d’être accusée
ou jugée.
Je lui ai alors dis que quelque chose dans ses
cours me mettait mal à l’aise et que je souhaitais lui en parler mais que ce
n’était que mon ressenti personnel et qu’elle en faisait ce qu’elle voulait. Je
lui ai expliqué que pour moi, sa façon d’insister sur la différence entre
sensuel et sexuel, gracieux et vulgaire, impliquait du jugement, pas dirigé
vers les jeunes femmes reçues dans les ateliers mais sur « les autres
femmes ». Le fait de sous-entendre que certaines tenues, certaines
attitudes, certaines façons de danser étaient condamnables me gênait.
Sa réponse a été dans un premier temps qu’elle
était justement très attachée à ça car beaucoup
de clichés entourent la pratique de sa danse et elle souhaite tout faire
pour ne pas les renforcer, et cette démarche est partagée par la majorité des
danseuses/professeures qu’elle connait.
D’autre part, si certaines de ses élèves
utilisent ce qu’elles ont appris en cours de façon excessive et
« vulgaire » en dehors des cours, c’est aussi son image à elle, en
tant que professeure de danse qui est altérée. Elle considère que son style et ses
chorégraphies ne sont pas vulgaires.
Par conséquent, elle ne veut pas que ses élèves aillent véhiculer une image
d’elle, en tant qu’artiste, comme étant vulgaire.
Elle a aussi avancé l’idée que cela lui
permet de faire comprendre à ses élèves qu’il y a une certaine subtilité du
mouvement à atteindre, qui fait qu’il y a de l’élégance, de la subtilité. Elle
souhaite enfin éviter toute « rivalité »
entre les femmes du groupe.
Elle refuse donc de changer son discours sur
le sujet et ajoute d’ailleurs que cela n’a jamais posé de problème depuis
qu’elle enseigne et que si ses méthodes et son style ne conviennent pas, les
élèves peuvent changer de prof.
La sentant légèrement sur la défensive, j’ai
répondu pacifiquement que je ne lui demandais pas de changer sa façon de faire,
et que je souhaitais juste lui faire part de ma réaction et de ma réflexion sur
ce sujet de la vulgarité, et qu’il me semblait intéressant que l’on en discute.
Plus calmement, elle reprend en argumentant
avec des anecdotes. Elle me raconte que lors d’un de ses spectacles, un groupe
d’hommes, probablement en état d’ébriété, lui a fait des commentaires
désobligeants, insultants, « dragueurs », etc. Elle est ressortie de
ce spectacle, très émue, avec le
sentiment d’être salie. Elle m’explique alors comment elle s’est remise en question, sur sa façon
d’avoir dansé, sur sa tenue, sur son attitude, et ainsi de suite. Marquée par
cette expérience, elle a par la suite pris la décision d’être encore plus
attentive à tous ces détails à l’avenir, et d’éviter d’aller à des
représentations sans son conjoint.
Je suis alors intervenue pour lui dire que je
comprenais ce qu’elle avait pu ressentir à ce moment là, mais que, pour moi,
elle n’avait pas à se remettre en question. Ce sont les hommes qui l’avaient
insultée qui n’étaient EUX pas à leur place. J’ai insisté sur le fait que je la
vois danser régulièrement et qu’elle n’est pas vulgaire et le sait. Ces types
là, se seraient comportés de cette façon face à n’importe quelle danseuse,
vulgaire ou non. Parce qu’ils n’ont pas de respect, qu’ils n’avaient pas le
recul et la finesse nécessaire pour apprécier toute la dimension artistique et
le travail derrière sa prestation. C’est à eux de modifier leur comportement,
pas à elle.
Un peu confuse, elle essaye de justifier
malgré tout sa remise en question. Je n’insiste pas car je sens que cette
conversation l’a peut-être affectée plus qu’elle ne voudrait l’admettre. Elle
m’explique que par ses conseils sur la vulgarité, elle souhaite aussi protéger
ses élèves de ce genre d’attaques et d’insultes qui peuvent faire des dégâts
psychologiquement. Elle ne veut pas qu’elles soient vues comme des objets sexuels. Elle m’explique que
les vidéos de danseuses sur internet et sur facebook notamment, sont
régulièrement commentées de façon insultante, parfois même par d’autres
danseuses. Elle même ne le fait jamais même si elle a déjà été choquée par
certaines danseuses, et sait que la communauté à laquelle elle appartient est
vite réprobatrice de certaines façons de danser. Certaines profs sont très
sévères et interdisent en représentations, les tatouages, les piercings, le
maquillage excessifs, les tenues trop dénudées, et même les lunettes. Elle en
revanche, se considère comme « cool » puisqu’elle accepte tout cela
chez ses élèves afin qu’elles se sentent bien et elles-mêmes. Elle termine que
sa seule exigence est qu’elles soient féminines
et que bien évidemment, cela inclut d’être propre,
en tenue adaptée et épilée (« parce que évidemment voilà faut vraiment
être femme quoi »).
La conversation se poursuit en tournant un peu
en rond puisque je ne la contredis pas et n’interviens que très peu.
Bon…
Que ressortir de tout ça !
La première partie de son argumentation est
plutôt cohérente et on pourrait dire : she has a point ! Le problème
est que tout son discours est basé sur une représentation de la femme et une
logique sexiste. En effet, des clichés entourent cette danse et il est normal
de ne pas vouloir les confirmer. Néanmoins, si des gens qualifient cette danse
(ou certaines des femmes qui la pratique) de vulgaire, c’est parce qu’elle met
en valeur le corps de la femme, qu’elle l’émancipe d’une certaine façon,
qu’elle lui donne du contrôle dessus. C’est quand même pour ça qu’on la
pratique en atelier thérapeutique, c’est exactement dans cet objectif. Où est
la cohérence de dire à ces femmes « vous êtes là pour apprendre à
aimer votre corps, à vous sentir femme et à prendre confiance en vous, et en
même temps, attention à votre attitude et à l’image que vous risquez de
renvoyer » ?
Le reste des arguments est basé sur le concept
sexiste de vulgarité donc je ne prends pas le temps de développer. Notez cependant la mention d’une rivalité potentielle entre les femmes, qui est
intéressante puisqu’elle existe et résulte d’une pression de notre société patriarcale
(encore elle <3 ) . Laci
Green en parle très bien dans sa vidéo : "What is girl
hate" (https://www.youtube.com/watch?v=1t0UvvYs3AE ) et explique en quoi se sentir en rivalité avec les autres femmes de manière générale, c'est se tirer une balle dans le pied.
La deuxième partie de son argumentation est
très intéressante, autant d’un point de vue féministe que d’un point de vue
psycho. L’anecdote qu’elle rapporte est frappante et évoque notamment ce que
les femmes vivent notamment dans le cadre du harcèlement de rue ou des
agressions sexuelles. Une agression verbale est commise par une bande de types
bourrés et obscènes, envers une danseuse venue partager son art. Qu’est-ce que
c’est que ce monde où dans une situation pareille, la VICTIME se remet en
question et culpabilise, et les AGRESSEURS passent une bonne soirée (trop lol
les gars). De toute évidence, cette anecdote a affectée l’intervenante de mon
groupe thérapeutique, non seulement psychologiquement, mais aussi dans sa
pratique et son comportement.
Cette expérience l’a rendue hypervigilante face à
sa façon de danser (ce qui doit d’ailleurs affecter sa créativité), l’a conduite
à limiter sa liberté de mobilité puisqu’elle ne fait plus, ou alors
exceptionnellement, de représentations sans la présence de son conjoint, et l’a
même amenée à VEHICULER du slut-shaming, dans un contexte professionnel et
thérapeutique.
Cette anecdote est typiquement représentative
du niveau de complexité et de perversité du sexisme ordinaire et montre bien à
quel point il est difficile de casser ce cercle vicieux pour reparir sur des bonnes bases.
PS :
Vers la fin de la conversation, l’intervenante a évoqué la question de
l’épilation comme nécessaire à la féminité… On y reviendra !
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