Suite à l'article précédemment publié, il me semble important d'expliquer plus en détails comment le sexisme ambiant de notre société se passe aussi au quotidien, au sein même d'une très grande partie des nos interactions sociales.
Partout, les hommes dominent les espaces, qu'ils soient publics ou privés, physiques, psychologiques ou verbaux.
Le phénomène n'est pas conscient la plupart du temps. Il s'agit plus d'un apprentissage tout au long de la vie grâce à des expériences de socialisation, que d'une volonté assumée de dominer un lieu ou une situation. En effet nous reproduisons forcément ce que nous voyons étant petit.e.s et en grandissant. Et qu'est-ce que nous voyons ?
Un manque de représentativité
L'espace médiatique est extrêmement inégalitaire. On voit beaucoup plus d'hommes que de femmes à la télévision, notamment en politique ou lorsque l'on fait appel à des experts (masculins 80% du temps). Ce que les hommes disent apparait comme quelque chose de "sérieux". A l'inverse, les femmes sont généralement citées uniquement par leur prénom ou en tout cas sans leur nom de famille, même s'il s'agit de personnalités politiques ou reconnues dans un domaine quelconque (problème évoqué dans un article précédent).
On accorde également aux hommes plus de temps de parole.
Radio | Le temps de parole des experts hommes est de 25 minutes contre 1 minute 35 pour les expertes femmes. | |
Presse | Les hommes font 3 fois plus souvent l’objet de photos que les femmes (articles et publicités confondus : 53% pour les hommes, 17% pour les femmes). La majorité des hommes représentés sont des politiciens ou des personnalités du monde des arts et des médias. | |
Télévision | 63% des prises de parole sont le fait des hommes contre 37% pour les femmes. |
Source : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/fiches-de-synthese-5/article/l-image-des-femmes-dans-les-medias
On observe aussi ce problème dans nos divertissements (films, séries, livres...), dès le plus jeune âge (même si on observe quelques amélioration ces dernières années) :
Source : https://www.washingtonpost.com/news/wonk/wp/2016/01/25/researchers-have-discovered-a-major-problem-with-the-little-mermaid-and-other-disney-movies/
Cette inégalité de traitement médiatique créé un déséquilibre dans notre façon d'appréhender la prise de parole d'un homme et celle d'une femme, et même la façon dont on va nous même prendre la parole (ou ne pas la prendre).
En effet, le fait que les hommes prennent plus souvent la parole que les femmes va nous apparaitre comme normal. Ainsi, une femme qui prend la parole autant qu'un homme moyen apparaitra comme bavarde puisque ce n'est pas ce à quoi l'on est habitué.e.s inconsciemment.
En effet, le fait que les hommes prennent plus souvent la parole que les femmes va nous apparaitre comme normal. Ainsi, une femme qui prend la parole autant qu'un homme moyen apparaitra comme bavarde puisque ce n'est pas ce à quoi l'on est habitué.e.s inconsciemment.
Un déséquilibre dès le plus jeune âge.
Comme on peut le voir sur le site de l'éducation nationale, de nombreuses études ont mis en évidence que les enseignant.e.s ont tendance (de façon non intentionnelle) à interagir beaucoup plus avec les garçons (66% avec les garçons, 33% avec les filles).
"Les enseignant-e-s interrogent plus souvent et plus longtemps les garçons que les filles. Elles/ils tolèrent plus leurs interventions spontanées et les reprennent plus souvent, les gratifient de plus d'encouragements et aussi de plus de critiques. Les garçons en position scolaire haute reçoivent plus de remarques d'ordre cognitif, des questions plus complexes. Quand ils sont interrogés, ils ont plus de temps pour répondre (temps de latence). D'autre part, les enseignant-e-s ont tendance à utiliser les filles en position scolaire haute pour rappeler les savoirs déjà appris dans la classe et les garçons dans les mêmes positions au moment où apparaît le savoir nouveau de la séance."
Source : http://eduscol.education.fr/cid47785/genre-et-pratiques-scolaires%C2%A0-comment-eduquer-a-l-egalite%C2%A0.html
Les enseignant.e.s qui conscientisent ce problème et essaient de rétablir une égalité dans les interactions reçoivent alors des plaintes des garçons qui se sentent délaissés (et ils/elles ont également cette impression) alors qu'ils/elles ont en fait simplement cessé de les favoriser. Ne pas favoriser et défavoriser sont deux choses très différentes.
Ce double standard s'observe également lors des évaluations. On attribue leurs bons résultats à leurs capacités et on part du principe qu'ils peuvent toujours s'améliorer, tandis que les filles "font ce qu'elles peuvent".
Lorsqu'un garçon indiscipliné prend la parole sans y avoir été invité on considère que ce n'est pas très bien mais que c'est également un comportement normal, tandis qu'il est attendu des filles une parfaite docilité, un conformisme qui, lorsqu'il n'est pas respecté, est très fortement réprimandé.
"Ainsi, à l'école, les garçons apprennent à s'exprimer, à s'affirmer, à contester l'autorité de l'adulte, quand les filles apprennent à " prendre moins de place ", physiquement et intellectuellement, à moins exprimer publiquement leur pensée, à se limiter dans leurs échanges avec les adultes, à être moins valorisées par les adultes, à se soumettre à leur autorité et à supporter, sans protester, la dominance de certains garçons."
Quelles conséquences ?
Dans nos interactions au quotidien, une fois adulte, que ce soit avec des amis, en cours, au travail, en famille, en faisant ses courses, etc, on observe une domination du masculin. Il suffit de prêter un minimum attention.
J'invite n'importe qui à penser aux exemple ci-dessous lors de sa prochaine participation à une conversation mixte, et à me contredire s'il/elle n'a pas constaté plusieurs des affirmations qui vont suivre.
J'invite n'importe qui à penser aux exemple ci-dessous lors de sa prochaine participation à une conversation mixte, et à me contredire s'il/elle n'a pas constaté plusieurs des affirmations qui vont suivre.
Dans un groupe mixte, quel que soit le contexte (même dans une réunion féministe), les hommes prendront proportionnellement plus la parole que les femmes, peu importe s'ils sont en minorité. Ils auront tendance à plus couper la parole et à moins se la faire couper. Les hommes obtiennent généralement plus facilement l'attention générale que les femmes. Vous avez forcément remarqué une différence si un femme demande le calme à une salle entière et si un homme le fait.
" Selon un mythe bien ancré, les femmes parleraient plus que les hommes. Or les études universitaires ont montré que c’est plutôt le contraire : une méta-analyse de 2007 a montré qu’en général, les hommes parleraient plus que les femmes3. Une review de 1993 allait également dans ce sens4. Cela est surtout vrai dans les environnements mixtes3comme les réunions, ou bien dans les contextes formels et publics (séminaire, débat télévisé, discussion de classe) où les contributions augmentent fortement le statut social5. Dans les contextes moins formels et intimes, la contribution des femmes seraient plus importante : ainsi, dans une étude qualitative de 1991 portant sur 7 couples hétérosexuels, les femmes parlaient plus que les hommes6."
Source : https://antisexisme.net/2012/07/08/genre-et-parole/#more-575 --> Excellent article sur la question
Voici même un site/application qui peut vous permettre de vérifier ça lors de votre prochaine discussion en groupe :
http://arementalkingtoomuch.com/
Lorsqu'une femme affirme quelque chose dans une conversation, son savoir sera plus souvent questionné, remis en question.
Il est très courant que l'on parle aux femmes sur un ton infantilisant et qu'on les tutoies, même quand on ne les connait pas, par exemple dans les commerces,
"tu veux quoi ?"
(une baguette et du respect merci),
(une baguette et du respect merci),
dans les administrations,
"bon, je mets mademoiselle ? tu as pensé à tous les papiers au moins ?"
sur son lieu de travail
"tu cherches ton chemin ?" (non je travaille ici depuis 5 mois et on a mangé ensemble y'a 3 semaines)
à une fête de village
"eh les filles, j'espère que vous avez un antivol hein, parce qu'il faudra pas venir pleurer après. (pas de réponse de notre part sauf un regard un peu interloqué). Je vous le dis gentiment hein. Je vous le dis très gentiment, mais il faudra pas venir pleurer."
En famille
"si seulement on connaissait quelqu'un qui s'y connait un peu en Alzheimer "
(Ouaiiiis, genre quelqu'un qui a fait psycho ?... coucou)
Dans la même dynamique, prendre les femmes de haut en leur expliquant des sujets qu'elles maitrisent déjà mieux que leur interlocuteur est un phénomène tellement récurrent qu'on a fini par lui attribuer un mot spécifique : le mansplaining.
Quelques exemples récents, pour le plaisir des yeux :
Les hommes vont également occuper l'espace physiquement beaucoup plus que les femmes. On parle dans la même logique de manspreading (http://www.huffingtonpost.fr/2014/12/23/manspreading-campagne-transports-new-yorkais-attaque-incivilites_n_6371490.html), c'est-à-dire cette tendance à faire plus souvent des grands gestes, à s'étaler, à prendre un maximum de place, parfois au détriment de l'espace des personnes alentours et/ou à un point ridicule. Cette manière de se saisir de l'espace est caractéristique de toute classe dominante, et s'observe donc aussi entre des hommes de différentes hiérarchies ou statuts socials.
(Vous voyez Hillary Clinton faire ça ? franchement ? )
Les hommes étant le genre dominant dans notre société, ce sont donc majoritairement les femmes qui prennent peu de place, face à aux hommes qui s'étalent, et on encourage ces comportements genrés à rester ainsi. On dit par exemple aux filles et aux femmes de ne pas s'asseoir les jambes écartées car "ce n'est pas élégant", "c'est vulgaire", de ne pas prendre trop de place à table, dans le bus, dans la rue (les femmes vont plus souvent céder la place sur le trottoir face à un homme croisé s'il n'y a pas assez de place).
On préfère les femmes petites aux femmes grandes, les femmes maigres aux femmes grosses, les femmes "posées" aux femmes très volubiles.
On préfère les femmes petites aux femmes grandes, les femmes maigres aux femmes grosses, les femmes "posées" aux femmes très volubiles.
Les hommes ont plus souvent tendance à pénétrer l'espace personnel et à toucher les femmes comme si cela était normal. Dans un contexte professionnel par exemple, on ne prêtera pas attention deux secondes à un homme qui va poser sa main sur l'épaule ou le bras de sa collègue, tandis que l'inverse serait mal perçu (par exemple comme un flirt, parce que les femmes sont toujours sexualisées). Là aussi cela est vrai entre hommes avec une différence hiérarchique, ce qui sous-entend donc que les femmes sont l'équivalent de subalternes.
Un élément caractéristique dans la façon dont les femmes s'expriment est le fait de s'excuser. On s'excuse SYSTEMATIQUEMENT de dire ce qu'on pense/ressent, d'énoncer des informations précises et vraies, de contredire quelqu'un, de parler de soi, d'interrompre, de bousculer, de déranger, de ne pas avoir envie de faire l'amour, d'avoir envie de faire l'amour... On s'excuse quand on se fait marcher dessus, quand on nous parle mal, quand on a raison, quand on est en colère, quand on pleure, quand on rit, quand on parle fort, quand on pète/rote, quand on reçoit quelqu'un chez soi, quand on va chez quelqu'un, quand on demande une augmentation, etc. C'est sans fin.
Vraiment, j'invite n'importe quelle femme a essayer de ne pas s'excuser du tout pendant une semaine. Evidemment des fois il y a de très bonnes raisons de s'excuser, mais la majeure partie du temps il n'y a pas lieu de le faire, et pourtant on ne peut pas s'en empêcher.
On peut aussi argumenter que les hommes devraient , eux, s'excuser plus souvent ce qui est vrai et me fait dire qu'on pourrait arriver à un juste milieu si les femmes s'excusaient moins (et si on n'attendait pas d'elles qu'elles le fassent autant), et si les hommes s'excusaient plus (quand c'est nécessaire).
Même sans s'excuser, on va très souvent ponctuer nos phrases d'expression pour atténuer ou nuancer ce qu'on affirme:
"je suis pas sure mais ..."
"j'ai juste l'impression que..."
"c'est juste mon avis..."
"je crois que j'ai entendu dire que..."
"désolée mais il me semble que..."
"fin j'sais pas, fin p'têtre" #LaRéférence
Voilà pour le petit tour d'horizon des éléments du sexisme insidieux qui sont faciles à remarquer quand on y prête attention.
Car même Nos Jours Heureux n'y échappe, pas mise en situation avec Nadine :
Nadine explique une situation (en atténuant avec des "je pense que... à mon avis...) puis elle se fait couper par Truman qui l'appelle "La Grosse" et redit plus ou moins la même chose qu'elle en plus long. Merci Truman !
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