De manière générale, tout évènement social type soirée avec des amis, connaissances et inconnus, est l'occasion d'expérimenter le sexisme ordinaire sous toutes ses formes.
Illustration avec le récit de ma dernière soirée.
Tout commence bien, j'échange quelques blagues avec de bons amis qui aiment se moquer gentiment et faire de l'humour graveleux au passage (deux éléments que l'on a en commun, donc bonne ambiance). En fidèle grosse bouffe de gâteaux apéros que je suis, je m'enfile en continu les cacahuètes les plus proches, quand mes amis me font tous les deux fait remarquer que j'avais grossi.
C'était sur le ton de l'humour évidemment et il était clair qu'ils ne voulaient pas me blesser. L'intention était de me charrier gentiment sur mon poids, pour que je réagisse de façon faussement outrée, ce que j'ai fais puisque ces échanges sur fond "d'amour vache" sont habituels entre nous et que tout commentaire sur mon poids est de toute manière ridicule puisque je ne pèse que 51kg pour 1,57m.
Suite à cela, j'enchaîne sur une petite anecdote grivoise comme j'en ai l'habitude. Un type arrive (que nous ne connaissons pas) et entame la conversation en me coupant avec cette phrase magnifique : "ah, ça parle de cul et c'est une fille, il faut que j'entende ça".
J'ai immédiatement senti qu'on allait s'entendre (non). Le gars avait l'air honnêtement assez spécial, même en dehors du commentaire sexiste, donc nous l'avons rapidement zappé et continué notre soirée.
J'ai immédiatement senti qu'on allait s'entendre (non). Le gars avait l'air honnêtement assez spécial, même en dehors du commentaire sexiste, donc nous l'avons rapidement zappé et continué notre soirée.
Toujours sur la thématique gâteaux apéros mais un peu plus tard, je me suis plainte à grand bruit que l'on m'ait fait passer un paquet de curly vide (énorme déception pour moi qui suis extrêmement fan de ce petit machin jaune). Le type précédemment évoqué s'avance alors très sûr de lui et place un curly juste devant ma bouche en m'observant intensément, attendant visiblement que je mange sensuellement dans sa main.
Je vous laisse imaginer la scène : le mec, au centre de notre petit cercle de potes, avec son curly/phallus métaphorique tendu vers moi, proposant ainsi une allusion sexuelle subtile (non) sans doute destinée à me séduire. Il était complètement indifférent au malaise général provoqué par son geste (les amis présents étant tous des amis d'enfance de mon copain assis 2m plus loin). Malgré cette offre alléchante (toujours non), je refuse verbalement et symboliquement son curly pour revenir à la conversation en cours, non sans échanger quelques regards hallucinés avec les amis présents.
Les festivités continuent sans encombre jusqu'à ce que le type revienne s'assoir à côté de moi (qui étais assise sur les genoux de mon copain). Nous débattons avec les autres personnes sur le fait que nos amis masculins feraient n'importe quoi pour une nuit d'amour avec mon boyfriend (Private joke) et je négocie à base de combien de cookies ils devront me filer pour que j'accède à leur requête.
Soudain, M. Curly me touche le nez et me dit en me regardant dans les yeux et de très près "Moi, je te veux toi".
Soudain, M. Curly me touche le nez et me dit en me regardant dans les yeux et de très près "Moi, je te veux toi".
Prise de court, je lui réponds juste "alors là oui nan mais juste non. N'importe quoi. (+ rire/malaise total)". Le mec s'en va et on se marre 5 minutes avec ceux qui ont assisté à la scène, mi-choqués mi-morts de rire.
Arrive peu de temps après le moment ou un pote se prend l'envie de me parler de "mon combat". Il soutient, je dis merci (allez savoir pourquoi je le remercie d'approuver que je suis son égale, ma politesse me perdra). Il développe un peu le fond de sa pensée mais je décroche de la conversation car je sais qu'il va dire des choses maladroites sur des sujets qu'il ne connait pas et je n'ai pas envie de passer le reste de la soirée à expliquer et débattre avec lui. On finit par parler de l'un de ses amis que je connais rapidement et trouve sympathique mais je fais remarquer que j'ai l'impression que ce dernier manque d'une certaine maturité affective.
Mon ami me coupe à plusieurs reprises en m'expliquant que "tu confonds maturité et expérience" et je finis par laisser couler malgré le mansplaining naissant.
Nous changeons de sujet, je demande pourquoi sa copine n'est pas présente et il me répond qu'elle a ses règles. Je marque une légère surprise et il me dit "oui car en fait il y a des femmes qui ont des règles très très douloureuses."
Le mansplaining n'est plus naissant, il est en plein dans ma gueule, et ça commence à faire un peu trop de choses en une soirée, pas de chance pour lui. Je le recale un peu sèchement en lui disant que ça serait gentil de ne pas me prendre pour une débile sur un sujet que je connais de toute évidence mieux que lui.
Bref. En une soirée j'ai eu droit à...
- --> Des blagues sur mon poids
Pourquoi ma façon de manger et mon poids se retrouvent sujets à commentaires ? et pourquoi utilisés pour (faussement) me réprimander ? Même si on était ici dans de l'humour, la base de cette blague était qu'une femme est sensée faire attention à ne pas grossir, et par conséquent, n'est pas sensée se goinfrer de gâteaux apéros sans aucune retenue en société. Sous couvert d'humour, les gens remarquent malgré eux une transgression que je commets par rapport aux "attentes" de la société. Même dans un contexte de détente avec des amis, impossible d'oublier les diktats de minceur, encore moins en ce début de mois de juillet où l'on approche du moment "fatidique" de s'exposer en bikini sur la plage.
D'ailleurs, j'ai beau avoir confiance en moi et me sentir bien dans mon corps, je me suis interrogée ! Est-ce que j'ai vraiment grossi ? Est-ce que c'est ma nouvelle coupe de cheveux ou mes vêtements qui donnent cette impression ? Je me suis même pesée, ce que je n'avais pas fait depuis facilement 8 mois, pour vérifier. Pourtant, j'ai du recul sur cette injonction à la maigreur et me fout du nombre sur la balance du moment que ce que je vois dans le miroir me plaît (et c'est le cas puisque je me trouve plus femme et plus sexy à 51kg qu'à 46kg lorsque j'avais 15 ans). Mais mon premier réflexe a été de m'inquiéter, de "vérifier" que c'était bien de l'humour que mes amis faisaient. Alors que je SUIS MINCE. Et que merde ! Je bouffe ce que je veux, quand je veux. C'est un plaisir dont je ne me priverais sous aucun prétexte sauf médical, et soyons honnête, perdre du poids aujourd'hui pour moi ne serait pas dans l'intérêt de ma santé.
- --> Un signalement que les femmes ne parlent généralement pas de cul (en tout cas pas en présence d'hommes et pas de façon "vulgaire").
Rappel d'un stéréotype que j'avais presque fini par oublier, tellement habituée à le transgresser depuis le plus jeune âge (déjà à 5 ans je racontais l'histoire d'un monsieur qui montrait ses fesses sur la plage, pour faire rire la galerie, avec un succès très moyen malheureusement).
- --> De la drague lourdingue
Proche du schéma typique du harcèlement de rue puisque Monsieur n'a pas tenu compte des nombreux indices indiquant que le contexte ne se prêtait pas à un jeu de séduction consentit réciproquement.
Les indices : la présence de mon copain toujours à quelques mètres de moi et même sur qui j'étais assise + mon attitude corporelle (pas de regard vers lui, pas de sourire, éloignement physique, signes d'agacements plutôt nombreux) + mes réactions explicitement non intéressées + les réactions de nos amis témoins.
Comment être plus CLAIRE ? Mais le problème en fait n'était pas d'être plus claire. Le problème était qu'il n'avait de toute évidence rien à péter de mon consentement. Lui avait envie de faire des grosses allusions bien relous, il avait envie de me montrer qu'il m'avait remarquée, donc il l'a fait. Peut être pensait-il indispensable de me "valider". Car c'est bien connu, c'est un compliment et toute personne ne le prenant pas ainsi ne serait qu'une connasse aigrie.
- --> Du mansplaining
Pour information, le mansplaining, c’est quand un homme explique à une femme d’un ton condescendant, sur un sujet qui la concerne elle et/ou un sujet sur lequel elle s'y connait mieux, qu’elle a tort de penser ce qu’elle pense, de dire ce qu’elle dit.
(Plus de détails sur madmoizelle)
Le terme a été inventé par une essayiste féministe américaine suite à une soirée où un homme lui a expliqué avec moult condescendance et paternalisme le contenu d'un livre dont elle s'est avérée être l'auteure.
Dans le cas de cette soirée, décortiquons un peu le mansplaining de ce pote :
- J'ai une licence de psychologie et il le sait. Lui fait des études qui n'ont rien à voir. Pourtant...
- Il m'explique comment analyser le comportement d'une personne
- Il réduit mes arguments (pertinents puisqu'ils reposent donc quand même sur un savoir scientifique et un début d'expérience professionnelle) à une réaction émotionnelle qui serait due à des a priori négatifs sur son ami, donc non valides.
- Il argumente quant à lui en faisant une généralisation de son expérience personnelle mais présente ça comme des faits objectifs.
- Je suis une femme et j'ai, ainsi que toutes les femmes dans ma famille, des règles très douloureuses. J'ai donc un utérus, des menstruations, et des connaissances approfondies sur le sujet, et pas lui.
- Il commence directement par me parler de ce sujet en assumant que j'en sais moins que lui.
- Quand je le reprends, il me dit cette phrase magnifique avec un air choqué : "Quoi ? Donc parce que j'ai pas de vagin je ne peux pas te parler de règles ???"
Alors, oui c'est presque ça. Parce que tu n'as pas de vagin et que tu n'es pas gynécologue (et franchement même si tu l'étais), tu ne peux pas me parler de règles de façon condescendante. Tu peux me parler de règles en me demandant d'abord ce que je sais sur la question, quel en est mon vécu, et ensuite tu peux proposer des connaissances complémentaires, pourquoi pas. Parce que en procédant comme ça, tu pars déjà du principe que peut être la personne en face en sait au moins autant que toi, voire même plus, et donc tu reconnais que tu peux apprendre des choses de l'autre. Essaye, c'est pas dur.
Voilà voilà. Cette soirée fut donc un exemple éloquent du sexisme ordinaire rencontré lors d'interactions sociales au sein d'un groupe éphémère. Et elle n'avait rien de particulèrement différent des autres soirées que je fais, ce qui veut dire que tout ceci m'arrive régulièrement ainsi, je suppose, qu'à d'autres femmes.
Notre sexe nous est constamment rappelé de diverses manières : des remarques sur ce qu'on mange, sur ce qu'on dit, dès que l'on s'éloigne des "attentes" spécifiquement féminines ; être prise pour un objet sexuel dont le consentement semble n'avoir aucune importance ou être prise pour une idiote.
On fini par ne plus y prêter attention mais c'est comme ça que les normes sociales sexistes s'incrustent en nous et modifient inconsciemment notre comportement, au point que l'on va nous même rappeler certaines limites à d'autres femmes ou hommes en société (par exemple faire remarquer à un pote que ce qu'il fait n'est pas très "viril").
On fini par ne plus y prêter attention mais c'est comme ça que les normes sociales sexistes s'incrustent en nous et modifient inconsciemment notre comportement, au point que l'on va nous même rappeler certaines limites à d'autres femmes ou hommes en société (par exemple faire remarquer à un pote que ce qu'il fait n'est pas très "viril").
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