"Sérieux, ce décolleté..."



Depuis quelques mois, c'est l'été. Que fait-on l'été ? Généralement, on fait bronzette, on va à la plage, on se baigne, bref, on fait des activités en maillot de bain. Et on fait aussi des photos des fois. Quitte à avoir l'air peu originale, je fais tout ça pendant mes vacances d'été. Du coup, qui dit soleil + maillot de bain + plage, dit changement de photo de profil Facebook, car on ne va pas le nier, l'addition de tous ces éléments sur une photo donne souvent un truc sympatoche :

L'objet du délit

Suite à ce choix de photo de profil, je m'attendais quand même à une petite dose malheureusement habituelle de slutshaming, à base de "stp range tes seins, respecte toi" auquel je prévoyais de répondre en toute simplicité : "ferme ta gueule" ou une variante type "mon corps, mes choix" (slogan féministe bien connu). Mais nous vivons dans un monde plein de surprises et j'avais beau m'être préparée psychologiquement, quelqu'un a réussi à me prendre au dépourvu. Comment est-ce possible ? Et bien parce que la remarque est venue d'un pote rencontré dans une association contre le harcèlement. 
Oui oui oui, vous avez bien lu, un mec qui milite contre ce genre de comportement, m'a envoyé un message pour commenter ce que provoquait chez lui mon décolleté sur la photo ci-dessus. Voyez par vous même : 








(...)


Je vous passe le reste de la discussion qui a suivi parce qu'elle est interminable. Grosso modo, le propos du mec c'était qu'il se sentait sale de me mater et que du coup pendant un instant il avait voulu me le dire parce qu'il m'avait inconsciemment tenue pour responsable de son propre mal être (si j'ai bien compris parce qu'il n'était pas très très clair). Après il disait que il ne regrettait pas de me l'avoir dit car c'était l'occasion pour moi de lui expliquer le problème, comment ça me faisait me sentir etc, et que donc ça lui permettait d'évoluer. 

Sur le coup, j'ai manqué de patience et de clarté dans mes réponses parce que bon, franchement, qu'est-ce que vous voulez dire face à l'absurdité de cette situation. Mais je vais essayer maintenant de remettre de l'ordre dans mes idées, afin d'expliquer ce qui pose problème avec ce genre de remarques (ainsi qu'avec d'autres éléments de la conversation). 

Le slutshaming
Alors déjà, je vais juste revenir sur les bases au cas où. Les commentaires non sollicités sur la tenue, le physique, les choix esthétiques sont déplacés et n'ont pas d'intérêt. Dire à une femme que la façon dont elle s'habille et choisi de mettre en valeur son corps sur des photos (ou dans la vie) est sexiste. 

Pourquoi ? 
Parce qu'on est en plein dans le slutshaming, à savoir un commentaire visant à culpabiliser/humilier une femme car elle serait jugée "trop sexuelle". Et une femme trop sexuelle, c'est problématique, car le sexe pour une femme c'est dégradant. --> Sexisme. 

Le slutshaming c'est aussi le début de la justification du viol. Parce que entre "tu t'habilles trop sexy, tu as l'air d'une fille facile" et "ouais tu t'es faite violer mais t'étais habillée comment ?", il n'y a qu'un pas et il est vite franchit. Et quand on franchi ce pas, on n'est pas loin non plus de dire que cette fille là, vu qu'elle est bourrée et qu'elle chauffe tout le monde et qu'elle a un décolleté, c'est ok de l'emmener dans un coin tranquille pour la baiser (fuck le consentement). 

Je vois d'ici les gens qui se disent que tout ça est bien tiré par les cheveux, c'est pas parce qu'on questionne un peu la façon de s'habiller d'une fille qu'on pense qu'elle mérite de se faire violer. 
Ah bon ? Et bah au MINIMUM cette façon de penser est responsable du fait que beaucoup de victimes de viols (ou tentatives de), CULPABILISENT. Non seulement c'est complètement fucked up qu'une victime culpabilise à la place de son agresseur, mais en plus c'est une des raisons pour lesquelles très peu de victimes d'agressions sexuelles (seulement 1/10) portent plainte, et donc que l'immense majorité des violeurs s'en sortent tranquillou (et peuvent recommencer). Donc quand même, dire ce genre de choses c'est prendre part à la culture du viol, autrement dit entretenir l'idée que, des fois, le viol, c'est ok. Lorsque quelqu'un slutshame, ça fait partie de la culture du viol. Ca vaut aussi pour tout ce qui consiste à désigner une femme par les charmants termes de "fille facile", "salope" "aguicheuse", et j'en passe. 

Une victime de viol ou d'agression sexuelle n'est JAMAIS, je dis bien JAMAIS responsable ou même partiellement responsable d'avoir été agressée. JA. MAIS. Elle pourrait s'être trimballée à poil et bourrée dans la rue, elle ne serait pas responsable. Le violeur/agresseur est le seul et unique coupable d'avoir pris la décision d'agresser. 

Pour revenir donc à la remarque de monsieur X précédemment cité, deux interprétations s'offrent à nous. Soit il s'agit d'une tentative maladroite de drague (= tu m'attires sur cette photo), soit il s'agit totalement de slutshaming (= tu es indécente sur cette photo). Bon généralement les deux sont liés donc on va dire que c'est un mix : tu m'attires, donc tu es indécente. En me signalant que mon décolleté est trop voyant, il y a tentative consciente ou non (en tout cas, vaine) de me faire culpabiliser d'exposer ainsi mon corps publiquement et de provoquer du désir. 

Toutes des salopes sauf maman

Plus loin dans la conversation (ci-dessus), mon ami m'explique qu'il se sent mal de sexualiser les femmes, qu'il aimerait les voir de manière plus respectueuse. Comme si le fait de voir une femme comme une personne sexuelle serait un manque de respect. Comme si trouver une femme sexy serait dégradant pour elle. Non
Le manque de respect ne se situe pas dans le fait de trouver une femme sexy, il se trouve dans le fait de la culpabiliser d'être sexy, de la culpabiliser d'assumer sa sexualité. 

Il s'agit d'un bon exemple des deux représentations caricaturales classiques de la femme : la maman ou la salope. 
La salope, comme son nom le sous-entend dans le langage commun, elle est sexuelle, elle est sale, elle est impure.
La maman, quant à elle, est idéalisée ; elle est parfaite, elle est pure : elle n'est pas sexuelle. 

En se voulant moins sexiste et plus respectueux des femmes, X fait l'erreur d'essayer de passer d'une représentation femmes = sexuelles (donc "salopes") à une représentation femmes = pures, non sexuelles (donc "mamans"). 
Il fait cette erreur car il associe la sexualité de la femme à quelque chose de dégradant ce qui est profondément misogyne mais malheureusement très ancré dans les mentalités. 
La sexualité de la femme ne doit plus être vu comme quelque chose de passif, de caché, de honteux. Elle doit être vue comme la sexualité d'un homme, autrement dit normale. Le fait qu'une femme soit en contrôle de sa sexualité est positif et ne devrait jamais être critiqué. 

Attention toutefois à ne pas tomber dans l'extrême inverse. Les féministes parle dans ce cas d'hypersexualisation, c'est-à-dire une sexualisation constante, du corps des femmes. 
Par exemple certaines personnes vont critiquer une mère qui allaite dans un lieu public. Le sein n'est pas quelque chose de sexuel dans un tel contexte, bon sang ! Et c'est tordu d'y voir quelque chose d'indécent alors qu'il s'agit de l'acte le plus naturel au monde. On parle quand même de la nécessité de nourrir un bébé qui a faim. Je ne vois même pas comment c'est possible de sexualiser ça.  
Autre exemple quand on interdit à des collégiennes de mettre des shorts ou des débardeurs sous prétexte que ça va déconcentrer les garçons (c'est du vécu). Il y a une sexualisation des corps de jeunes filles qui, pour la majorité d'entre elles, n'ont pas encore de vie sexuelle et sont là pour étudier (+ slutshaming en bonus). On leur renvoie le message que tout leur corps est avant tout sexuel : des pieds à la tête, puisqu'on on parle bien d'interdire des shorts et des débardeurs (tenues autorisées pour les garçons). 

Il est essentiel de comprendre qu'il y a un juste milieu. Les femmes, comme les hommes, sont des êtres sexuels, mais ne doivent pas être réduits à ça. 


Je dirais pareil pour un homme...
Ou l'argument qui revient souvent pour se justifier de ne pas être sexiste ou raciste ou homophobe, mais qui est évidemment totalement bidon. Forcément, il est venu à un moment de la conversation : 

Alors pour commencer, un décolleté de femme vs un mec torse nu, on n'est pas à égalité. Déjà. Tu me dirais que tu es autant gêné par un torse nu de femme qu'un torse nu d'homme, admettons, mais là c'est juste un décolleté. La blague. 

Tant que j'y suis, quelques lignes sur cette inégalité absurde : 
Les mecs ont légalement le droit de se trimballer torse poil n'importe où dès qu'il fait un peu chaud. Ca pourrait être pas mal que les femmes aussi aient le droit, et que socialement ça ne soit pas stigmatisé. Parce que concrètement, un téton c'est un téton. Je comprends pas bien pourquoi on fait tout un foin pour les seins alors que c'est la même chose qu'un téton d'homme mais avec un peu de masse graisseuse et de glandes mammaires en dessous. Je veux dire, à ce moment là on interdit aux hommes obèses avec des male boobs de se mettre torse nu et on autorise aux femmes à très petite poitrine de le faire? Ca n'a aucun sens. Idem pour la politique de censure de FB qui est complètement à chier. Oui parce que FB censure les photos où on voit un téton de femme mais pas celles où on voit un téton d'homme. Par contre ça censure pas tout ce qui est incitation à la haine etc. #Priorités. 


La seule différence est que l'on sexualise les seins des femmes, mais pas ceux des hommes. Et il faudrait arrêter de faire ça. Vraiment. Parce que sinon pour être à égalité il faudrait stigmatiser les torses d'hommes autant que ceux des femmes, mais je vois pas bien l'intérêt. 

Du coup c'est l'argument qu'essaye d'avancer X pour s'exonérer de tout sexisme : Ca me gênerait tout autant si c'était un mec torse nu. 
Oui bien sur. Si c'était un mec sur cette plage, allongé sur sa serviette et un peu redressé pour sourire à la caméra ça serait même encore plus indécent parce qu'on verrait ses tétons contrairement à moi. Je ne doute pas que tu te fendrais d'un message pour lui parler de comment ça te gène de voir son corps à chaque fois que tu tombes sur sa photo de profil. D'ailleurs tu as probablement contacté ces deux potes mecs dans tes amis FB qui sont nus de la ceinture aux épaules sur leur photo de profil. 




Je ne suis pas sexiste mais... 
Mais ce qui me dérange le plus dans tout ça évidemment c'est le fait que cette personne fasse partie d'une association qui lutte contre ce genre de comportements. Je suis plutôt du genre patiente face au sexisme ordinaire véhiculé par des amis plus ou moins proches, car contrairement à beaucoup de féministes (que je ne blâme pas, après tout ça demande pas mal d'énergie et de selfcontrol), je prends généralement le temps de jouer les pédagogues et de débattre. Mais au bout d'un moment il y a des limites. 
Je ne vois pas comment on peut transmettre correctement le message que le harcèlement est inacceptable quand on en fait soi même. Oui parce que cher ami (et autre personne qui serait tentée de sortir l'énormité suivante ou une variante), c'est pas parce que tu dis "je te le dis gentiment" et "je ne te harcèle pas" que c'est le cas. Ca me rappelle un autre pote qui me disait : 
M... D... R... Ca marche pas comme ça les gars. Nan parce que concrètement si moi je vous mets ma main dans la gueule et que je vous dis : "t'inquiète je l'ai fais gentiment, c'était de l'humour, pas de la violence", on est d'accord que ça fonctionne pas. C'est la même chose pour le slutshaming ou autre "drague" insistante et inappropriée.

Je ne vois VRAIMENT pas comment on peut s'engager pour défendre le droit des femmes à ne pas se faire emmerder dans l'espace public ou semi public (les réseaux sociaux rentre dans cette catégorie) quand on dit (ou même juste pense) des trucs comme "quand t'es un mec t'as les yeux qui plongent dans le décolleté direct parce que oui ça intéresse". Y'a juste pas moyen. Quand tu sous-entends que tous les mecs sont obsédés par les seins et que c'est même normal, il y a un problème de fond. 
Si toi tu as des difficultés à ne pas regarder la poitrine des femmes de ton entourage, et bien soit. Mais faire une généralité comme ça, quand tu es dans une asso contre le harcèlement (et même quand tu n'y es pas) ce n'est juste pas possible. Lorsqu'on pense que les hommes sont tous des chiens, que c'est pas de leur faute, ils ont des pulsions, on est encore une fois dans la culture du viol, parce que dire que les hommes ne peuvent pas se contrôler revient à dire que le viol c'est un peu inévitable et pas trop de la faute du violeur. Je vais me répéter mais c'est scientifiquement FAUX. 


Le viol 
Si le viol était causé par les vêtements "trop révélateurs" de la victime, le nombre de viols quadruplerait pendant l'été. Mais ce n'est pas le cas. 
Si le viol était causé par le fait que la victime ait couché avec beaucoup de monde par le passé, les femmes vierges ne seraient pas violées. Mais elles le sont. 
Si le viol était causé par la beauté de la victime selon les critères de beautés standards, seules les personnes minces, blanches et valides seraient violées. Mais ce n'est pas le cas. 
Si le viol était causé par la quantité d'alcool ingérée par la victime, les personnes sobres ne seraient pas violées. Mais elles le sont. 
Le viol n'est pas la faute des victimes. 

Le viol n'est pas une affaire de pulsion mais une envie de soumettre, d'imposer sa volonté. Il est intentionnel et pas fait "malgré soi" parce qu'on a eu une pulsion. C'est une décision. On peut s'en empêcher. 
Et bien sûr que regarder des décolletés n'est en rien comparable à violer quelqu'un, mais on peut aussi s'en empêcher. Et on peut aussi garder ses commentaires pour soi.

Le manque d'empathie 
Autre chose qui peut arriver dans cette situation et qui est arrivé ici : ne pas réussir à se décentrer. 


X me dit à plusieurs reprises dans la conversation qu'il m'a fait part de ses pensées car il comptait sur moi pour le recaler et lui expliquer ce qui n'allait pas dans son comportement. C'est fort bien de vouloir s'améliorer, mais je ne suis pas là pour encaisser sans broncher et en plus faire preuve de pédagogie. 

Je vais reprendre l'analogie de la main dans la gueule parce que ça a le mérite d'être clair. 
Je ne vais pas me ramener voir un mec, lui mettre une claque puis lui demander : 
J'ai fais ça pour que tu m'aides à comprendre comment la violence c'est pas bien. Comme je te connais je me suis dis que je pouvais te faire confiance pour me remettre à ma place après. Explique moi comment tu te sens là tout de suite stp, ça va m'aider. 
NON.
Ca va M'aider, JE pourrai évoluer, explique MOI... Il faut arrêter de se regarder le nombril, il y a deux personnes dans une interaction. 

Je suis une personne qui ressent des choses et qui attend du respect. Je ne sers pas à faire des expériences pour comprendre en quoi c'est mal le sexisme. 
La plupart des êtres humains sont capables de faire preuve d'empathie, vous n'avez qu'à imaginer être dans la même situation que la personne à qui vous vous adressez et voir comment vous vous sentez, et basta. 

Un peu de psycho...
Avec du recul je peux maintenant faire un petit pas de côté pour laisser la psycho en moi analyser la situation. 
J'ai envie de parler ici d'un mécanisme de défense peu connu du grand public (et que moi-même je connais moins que d'autres, donc ceci n'est vraiment qu'une hypothèse), à savoir la formation réactionnelle. La formation réactionnelle c'est :
Une transformation du caractère permettant une économie du refoulement, puisqu’à des tendances inacceptables sont substituées des tendances opposées, qui deviennent permanentes. 
 (Source : http://www.sospsychomotricite.com/mecanisme-defense-moi/)

Par exemple quelqu'un qui a un désir inconscient inacceptable pour les choses sales / manipuler de la saleté va substituer ce désir par la tendance inverse, ce qui se traduira par une obsession de la propreté. 

L'engagement militant de X pour défendre le droit des femmes à la tranquillité dans l'espace public (et son intention de voir les femmes de façon plus pure) pourrait être une formation réactionnelle à un désir sexuel envahissant pour le corps des femmes, jugé intolérable car il associe le sexe à quelque chose de dégradant. 
Mon ami traversant actuellement une période un peu difficile émotionnellement, on peut supposer qu'il y ait eu un échec de ce mécanisme de défense, ce qui a révélé ses pensées inconscientes. 
Attention, il ne s'agit pas d'excuser ce comportement mais de trouver une piste de compréhension, car c'est toujours utile et constructif de comprendre le pourquoi du comment du what the fuck.  

De manière plus globale, accuser autrui de provoquer du désir en nous me semble tenir d'une hypocrisie très banale, et je ne sais pas s'il y a grand chose à analyser plus loin que ça. Il est évidemment plus simple d'accuser l'autre de ce qu'on ressent soi-même, car ça évite de se remettre en question et d'essayer de comprendre pourquoi on ressent ça. Accuser l'autre c'est s'innocenter soi. 
Et c'est tellement facile d'accuser les femmes de provoquer du désir plutôt que de remettre en question la façon dont on perçoit les femmes, dans une société patriarcale. 


Conclusion
Cette histoire s'est conclue je pense positivement car mon ami m'a dit ça le lendemain : 

On voit bien qu'il y a une remise en question et qu'il ne m'accuse de rien ce qui est rarement le cas dans ce genre d'altercations. Je lui suis reconnaissante pour ça. 


Mais j'ai quand même décidé d'écrire un article sur le sujet car la discussion est vraiment représentative de ce que peut donner le slutshaming quand il vient d'amis, notamment d'amis qui ne se pensent pas sexistes. Je voulais décortiquer un peu l'implicite dans ce genre de remarques, ainsi que les arguments utilisés pour se justifier, histoire que ça puisse éventuellement servir à d'autres.  



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